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 Carnet de Nongliuli*

Les élèves parlent de leur Burkina : enregistrement sonore effectué à Boala le 27 octobre 2014

 

Dimanche 3 mars, un après-midi à Boala. 

 

PORTRAITS

 


Ils se succèdent, se multiplient, au point de parfois s’emmêler un peu, s’enchainent jusqu’à ce qu’il soit temps pour vous de reprendre l’avion et alors là, vous maudissez le brouillard qui commence à les recouvrir, à les estomper.


Il faudrait pouvoir les peindre, les conserver avec soi dans leur expression la plus fidèle, tous ces visages, ces regards que vous croisez pendant la pauvre dizaine de jours que vous passez là-bas. On vous a beaucoup parlé du gout extrême des Africains pour les palabres, et vous le vérifiez très vite, vous appréciez ces échanges autour de la parole, vous vous délectez de ces adages et proverbes souvent assez croustillants.


Ce que vous découvrez par vous-même, c’est que les silences aussi ont leur importance ; ce sont alors les visages qui expriment tout ce que la parole ne peut transmettre. Cela peut paraitre logique lorsque vous voyagez en pays mossi où peu de personnes peuvent s’exprimer en Français, mais il ne s’agit pas que de cela. Il y a la pudeur souvent qui fait qu’on préfère ne pas exprimer certaines peines, certaines douleurs ou alors si on use de la parole, c’est toujours par de nombreux détours (revoilà les proverbes !) que l’on parvient à aborder le fond du problème.


Aussi, vous apprenez assez vite à repérer tous ces signes muets de connivence que l’on vous lance : regards qui s’illuminent, ou au contraire visages qui se rembrunissent, jamais longtemps d’ailleurs, comme si l’on s’interdisait de se laisser aller  à la mélancolie.


Voilà pourquoi ils sont si précieux tous ces visages que vous rencontrez tout au long du séjour burkinabè : visages lumineux des enfants aux yeux immenses, visages fins et gracieux des jeunes filles timides, sublimes visages aux traits douloureux des femmes et des hommes qui vivent dans des efforts toujours renouvelés, visages des vieillards burinés par le temps et le soleil mais empreints d’une si grande noblesse…Ils sont tous différents et tous beaux, non pas selon les critères superficiels d’une société où tout doit être sacrifié à l’apparence mais parce qu’ils expriment la personnalité profonde de chacun.


Cette galerie de portraits qui me sont chers, je vais essayer du mieux que je peux de l’entretenir dans ma mémoire, m’aidant parfois des photos prises sur place, pas trop quand même,  car l’image fixe est vide  et elle nourrit un sentiment de frustration. Je préfère l’image qui vous bouleverse longtemps encore après qu’elle vous soit sortie des yeux : celle du jeune berger Hamidou s’approchant de notre voiture pour nous saluer. Sourd, il ne s’exprime que par des sons proches du chant et par le regard : mais il dit tout, il dit tellement …

 

  Nongliuli * (ou Coco, rebaptisée Nongliuli à Boala, ce qui signifie littéralement "celle qui aime les oiseaux" en moorè)

Et encore un moment de grâce à raconter...

un instant rare, de ceux qu’ on voudrait pouvoir conserver après avoir oublié tous les autres et c’est encore à Boala que j’ai pu le vivre. Extrêmement fugitif pourtant : un après-midi épuisant de chaleur et notre premier tour au milieu du marché de Boala. Agitation , bruit et poussière. On essaie de retrouver un peu ses repères, on guette des yeux pour apercevoir ceux, celles de la concession que l’on n’a guère eu l’occasion  de rencontrer durant ce mois d’octobre.

 

Les enfants sont là, eux, du moins les plus jeunes qui sont les premiers à nous avoir retrouvées. Derrière moi, une main fragile est venue saisir la mienne. Je ne me suis pas encore retournée et je sais que mon cœur est déjà en train  de fondre : je retrouve soudain dans ce contact toute la douceur, la chaleur bienveillante et réconfortante qu’avait laissée pour moi dans un coin de mes souvenirs une main bien-aimée, celle de ma grand-mère. Son image fugitive me revient au même moment où mes yeux rencontrent le regard si plein de bonté de Larba, la « vieille » de la concession qui venait m’exprimer dans le langage du cœur, sa joie de me revoir en parfaite santé au village.

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