Carnet de Neerwaya
Episode 4 : ça va aller !
Le mois où Blaise a quitté......(fin)
Pour se remettre dans l'ambiance, rappel encyclopédique sur le comportement de notre gallinacée favorite :
"En général, les pintades forment des collectivités bruyantes qui ont su mettre au point tout un système d'alarme et de vigilance qui leur permet d'échapper à leurs prédateurs."
donc...."ça va aller" ! Conscientes de cet état de fait, nous voilà prêtes à affronter Ouaga, capitale de la REVOLUTION...
Surtout que ........SMS du Portail Ariane ( portail des réfugiés
français dans un pays à risque) :
" frontières aériennes et terriennes fermées".
L'ambassade confirme "pas de vol possible, aéroport fermé".........
Nous ne migrerons pas vers la France aujourd'hui.
En braves volatiles, curieuses et malicieuses, dont la particularité
est de gambader et faire du bruit, nous avons ressenti le désir d'aller
renifler l'atmosphère, de cacaber avec les gens, de trainer nos
plumes vers le centre ville.......... De vivre "l'après révolution quoi !".
Dans notre rue de Counghin tout ressemble à l'ordinaire même si la plupart des boutiques sont closes.
Vers le centre, beaucoup de personnes regroupées sont en train de .... nettoyer... des jeunes, des femmes, des vieux....... Ceux sont les sympathisants du très suivi "Balai Citoyen". Mouvement créé par Smokey, un chanteur de rap et Samsk Le Jah reggae man. Leur objectif annoncé est d'assainir citoyennement et proprement le Faso.
Alors là BRAVO, déjà un bel exemple concret sous nos yeux! . Est ce qu'on peut en commander sur internet des Balais citoyens ? Si oui, je propose un achat groupé!
Bâtiments détruits, restes d'incendies, dégâts de ci de là .... pourtant la vie quotidienne est bien là et chacun s'active dans un climat entre normalité et singularité.
Nos barbillons frémissent et nos crêtes se dressent d'émotion quand nous passons devant la place des nations unies devenue la place de la révolution........Sankara plane sur Ouaga!
A la recherche de journaux, nous dodelinons vers un kiosque. Des jeunes sont attroupés et une jeune Marianne exaltée nous brandit un document en vociférant. Nous essayons de comprendre, il est question de Norbert Zongo, journaliste devenu célèbre après "l'accident" qui lui a couté la vie....des preuves saisies qui vont être photocopiées et données à la population. En cette chaude fin de matinée, notre attitude de pintade un peu ramollie, indolente voire amorphe énerve particulièrement notre jeune rebelle.
Révoltée, elle se met à nous vociférer dessus "Vous n'êtes pas des nôtres, on se retrouvera!!!" injures diverses et ambiance électrique......On palabre, on justifie........"OK poulette, tu es survoltée mais n'oublie pas à qui tu parles. Dans des cultures très anciennes, les milliers de perles de notre plumage nous ont placé sous la signature de divinités féminines et lunaires!!!!!Alors un peu de respect envers tes consoeurs qui, malgré leur peu de répartie à ce moment là, adhèrent largement à ce soulèvement populaire !". Un monsieur, lui relate que la veille, ils ont pénétré dans les bunkers du parlement et des habitations et découvert des preuves accablantes. On écoute, un peu abasourdies, ces échanges d'infos, chacun a un épisode à raconter : "dans la maison de l'ex petit président, François, on a découvert des cadavres d'enfants!! !" Ici, il se dit que des rites sataniques se perpétraient et que les cibles étaient les enfants musulmans mendiants...Brr! les plumes frissonnent...... on s'éloigne....besoin de digérer...de retrouver des connaissances, de boire une brakina ( bière locale)..........
Retour en mobylette avec nos jeunes commerçants du canal.
"Tu comprends , j'ai 28 ans et je n'ai connu que Blaise, alors là je suis content!"
C'est ce parfum d'espérance qui est le plus tangible dans l'air pollué de la ville. La pintade calée sur son popotin à l'arrière de la mobylette ressent le sentiment de liberté et d'espoir de cette jeunesse........
Avant le couvre feu, on décide de se désaltérer, voire de s'alimenter dans un maquis près de la maison. On a besoin de décompresser et de partager ces moments EXTRA ordinaires.... Ces petits lieux appelés maquis sont l'endroit idéal : tables installées sur la terre battue, lumière tamisée, pénombre propice à la discussion.
Exemple d'une scène du quotidien : le jeune préposé au service s'approche "on ne fait pas à manger mais si vous voulez je peux aller chercher une carpe grillée et vous l'apporter pour deux milles cfa ( 3 euros)"..."Livraison spontanée à domicile ..il n'y a pas de problème, c'est parfait....manger du poisson avec les mains...on peut le faire....".
Tranquillement la nuit s'étale..... le calme est de courte durée. Des mobylettes défilent et surgissent d'un peu partout en klaxonnant .......
la jeunesse se manifeste , il se passe quelque chose, cela a l'air plutôt joyeux comme un avertissement à annoncer......
Restons placides et attendons que l'info vienne à nous...cool!
Un jeune homme s'installe, commande un "Fanta orange " et nous salue. Il explique que demain, ils vont tous se rassembler à la place de la révolution et que ça va bouger ! On félicite pour cette insurrection et en pintades protectrices face à des petits poussins exaltés, on lui dit de prendre soin de lui.
Je n'oublierai jamais sa détermination dans sa réponse:
"Vous savez s'il faut mourir demain pour libérer ce pays, il y a pas de problème!"
Plus rien à dire, dans ce maquis paumé, un jeune homme est prêt à laisser ( à donner !) sa vie...........
"Mourir pour des idées, d'accord mais de mort lente". Brassens, tu n'aurais pas eu d'écho ici dans la nuit de Ouaga!!!
Envie d'émettre un cri strident.......lorsqu'elle criaille, la pintade c'est forcément sous le coup d'une colère face à des situations absurdes et injustes...........Qu'est ce qui pousse un enfant à mourir pour son pays ?
La cervelle embrumée, les pintades retournent se réfugier au poulailler.
Aristide nous appelle pour signaler qu'il espère un vol pour le lendemain.
Bien qu'appartenant à la famille des volatiles, une autre caractéristique
de la pintade est de courir grâce à ses jambes musclées et élancées
(on ne sourit pas !!!) mais de ne pas pouvoir voler longtemps. Donc,
notre vol retour doit se faire dans le ventre d'un oiseau plus performant .
Avant le départ, on va saluer la famille d'Aristide et une surprise nous attend. Lors du dernier séjour, nous avons laissé à notre ami une jolie poulette dénommée "Démocratie", suite à une discussion politique sous les étoiles du village de Yalga.
Et bien, vous le croirez ou non....Démocratie est toujours vivante et en plus elle a fait 10 petits poussins plein d'énergie!!!!!!!!
Prémonition....la pintade a-t-elle eu du flair de la baptiser ainsi ?
Séance aéroport avec des gens très pressés de rentrer.......longue attente........ envol vers Alger dans l'après midi. A l'arrivée, aéroport désert, néons agressifs et climatisation exagérée...........pas de correspondances possibles......... Chez certains la panique arrive, beaucoup se ruent sur des téléphones, des ordinateurs , essaient de parlementer avec les employés pour qui la révolution au Burkina semble peu compter.
Les pintades vont boire un petit café tant que le bar est ouvert et propice à la palabre, cacabent avec une dame du Burkina. Encore une rencontre marquante qui ne peut laisser indifférent. Cette femme là a connu des horreurs qui font partie de l'intime. Elle est réfugiée politique en France, épouse d'une des quatre personnes assassinés il y a 16 ans dont Norbert Zongo. Pour rappel: ce journaliste et ses compagnons menaient des enquêtes sur des scandales politiques. Très impliquée, elle connait beaucoup les réalités de l'ancien gouvernement et nous fait percevoir combien l'opposition travaillait dans l'ombre au départ de Blaise. Infiltrations diverses dans le gouvernement, contacts avec l'étranger........Elle nous raconte, elle aussi, les rites sataniques du frère du président sur des enfants et des albinos et nous montre des photos pour argumenter !!!!!Elle est confiante, toutes ces affaires douteuses vont sortir et peut être jugées.....
Passeports et billets d'avion nous sont retirés. On se prépare pour une courte nuit. Allongé de ci de là, chacun trouve son espace. A l'aube, chacun va s'informer de l'heure de départ possible : Paris, Nice, Genève, Lyon ...tôt dans la
matinée. Marseille? désolé, il faudra encore patienter...et puis.....
Envol pour la destination finale avec une pensée tendre pour Romaric et le souvenir d'un proverbe :
"L'aveugle ne marche pas deux fois sur les testicules du crocodile".
En conséquence, je m'installe entre hublot et pintade Coco pour ne pas être dérangée.
Voilà, je vous passe l'arrivée, les bagages perdus, le retour sous la pluie et la difficulté à raconter : "Alors, vous avez du avoir peur ? et puis la révolution dans ces pays là, on sait ce que ça donne ???"
Nous, on retiendra l'espérance ressentie.
En utopistes réalistes, les pintades sont bien conscientes que l'égoïsme, les peurs, les conflits d'intérêts existeront toujours mais un mouvement s'est mis en route........un autre monde possible est envisageable au Burkina comme ailleurs.....un petit bonhomme maigrichon en Inde nous a montré l'exemple : "soyons le changement que nous voulons dans le monde".
Impliquons-nous sérieusement sans nous prendre au sérieux et pour conclure avec un proverbe africain qui en dit long...........
"Si le babouin pouvait voir son derrière, lui aussi rirait"