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 Carnet de Neerwaya

Le mois où Blaise a quitté......(suite)

 

 
Episode 3: Même pas peur !
 

Les deux pintades de Boulsa patientent gentiment en s'activant à la "cité des enfants". Elles regardent et écoutent les infos diverses qui se rependent, se transforment , évoluent d'heures en heures, de minutes en minutes selon les sources......

"On a vu un convoi de voitures qui transportait Blaise vers la ville de Pô".

" Sa femme Chantal est partie au Mali".

"Son frère François, dit le petit président, a été arrêté"..............

L'appel de l'ami Aristide, notre correspondant, interrompt le flux de communiqués " Tenez-vous prêtes, j'arrive!".

Cet homme là a certainement sa place dans le poulailler un peu féministe des pintades non en tant que coq mais en tant que gallinacé burkinabé; à la présence rassurante et plus encore. Ouaga/Boulsa, il sera là dans deux à trois heures, c'est selon... Ici le temps est élastique!

Exalté par les événements et généreux par nature, dès son arrivée, il cacabe avec nos hôtes, il est intarissable :

" C'est la confusion à Ouaga; qui va assurer la transition? La tension est là, on craint des frictions entre les militaires. La foule réclame Kouamé Loughé général en retraite. Le Mogho Naaba (chef suprême des Mossis) le soutient. Mais il y a aussi un autre général, Traoré qui veut se proclamer. Entre temps, les portes paroles de la société civile présentent, eux aussi, un troisième militaire Isaac Zida, adjoint du tout "ancien président" du régiment de la sécurité présidentielle........ Zéphirin Diabré chef de file de l'opposition va parler et bla bla bla.........".

 

 

 

Dans les petites cervelles des deux pintades, tout est un peu confus, elles ont élargi en quelques jours leurs connaissances sur des tas de noms jusqu'alors inconnus : Zéphirin, Isaac, Kouamé, Honoré Traoré........ Elles ressentent l'exaltation et l'espérance d'Aristide dans ses palabres.

 

Le temps presse, la route s'annonce longue, le couvre feu est à 19h.

On quitte non sans nostalgie cet endroit hors du temps.

 

Aristide conduit lentement en consultant sans cesse son blackberry : mails, réseaux sociaux, l'info circule vite, trop vite......Consigne non négociable de sa part :"quand on vous téléphone, vous ne dites pas où on se trouve". Lui même fabule avec une décontraction étonnante : " Mais oui, tout va bien, ce n'est pas Kaboul ici. Je me repose à Ouaga. Et les deux françaises, elles vont bien, elles aussi sont sur Ouaga chez des amis !!!!!!!!!"

La nuit tombe peu à peu, pratiquement pas de circulation, seulement quelques véhicules chargés de sacs de riz "empruntés". " C'est ça qu'ils ont pris à Blaise et qu'ils rapportent dans leur village, c'est propre!". L'atmosphère est insolite, différente, l'incertitude est palpable.

Et nous rentrons dans Ouaga, enfin, dans une version inconnue de Ouaga. Ville d'ordinaire grouillante de monde, de motos, d'autos, de vélos... de vie quoi! Là, nous sommes dans la troisième dimension. Un décor de fiction, peu de lumière, lampadaires cassés, restes de débris et traces de feu sur le bitume, l'air paraît encore plus pollué et surtout ...... Personne......

 

J'aime pas ça moi ! Où sont les gens ?

 

Aristide ne parle plus.

Et tout à coup : un barrage !! Des militaires en tenue de Rambo avec gourdins et fouets de bois sortent de la pénombre et lèvent le bras."On fait quoi Aristide?". " Surtout, tu ne parles plus !".

Je crois que mes plumes se sont toutes rétrécies, j'aurai voulu rapetisser, redevenir à l'état d'oeuf ou m'envoler.

Un immense militaire très sombre (of course, il est noir mais encore plus noir que noir) demande à Aristide de baisser la vitre et éructe sur lui un flot d'injures, on saisit au vol : " Tu l'as voulu la révolution alors qu'est-ce-que tu fais là........!". Il l'oblige à descendre. Les pintades se sentent abandonnées, elles ont perdu celui qu'elles ne voulaient pas proclamer coq mais là, elles sont vraiment désemparées et aimeraient bien un coq protecteur. Je saisis la main de Corinne.

 

Rambo contourne la voiture et nous ordonne de quitter le véhicule. Archétype physique du mâle dominant gorgé de testostérone : longues jambes musclées , épaules larges taillées en V, ventre plat serré dans un ceinturon, menton carré........ Un physique qui écrase..... Et surtout, des yeux de dément...... Si le terme de normal veut encore signifier quelque chose à cet instant là, son regard n'est pas NORMAL !!!!!!!

 

La peur me saisit à cet instant là, "Je ne veux pas descendre rejoindre cet homme, il ne me plait pas du tout du tout........ Moi, ce n'est pas le style qui me fait vibrer, le look légionnaire......!

 

Il éructe, crie, aboie, il paraît étonné quand il voit deux ombres "blanches" descendre sur le bitume. Il nous toise. La haine est là et surtout la supériorité, le mépris .........

Pourvu qu'il ne demande pas de le suivre, il me fait trop peur, il n'est plus lucide, ses yeux sont injectés d'animosité. L'agressivité est tangible, tout peut basculer....

 

Respirer ! Respirer ! Zen, Yoga, François, Samuel, Elodie.... ça va aller !

Pintades abandonnées dans une ville transformée en décor déshumanisé sous le regard méprisant d'un militaire fou, les minutes se sont écoulées au ralenti........... Et le verdict est tombé !

Un geste du menton dédaigneux nous invite à remonter et déguerpir........ Aristide murmure : " Si on ne croise plus un barrage, c'est gagné!".

Souffle bloqué, on avance dans ce Ouaga déserté de tout humain...... On se gare devant chez Adja, notre refuge nous tend les bras... Aristide sort et pisse longuement dans le caniveau, nous, on tambourine à la porte..

 

 

 

 

 

 

 

Adja, étonnée ouvre, on balance nos bagages à l'intérieur de la cour, Aristide avant de disparaître lance :

"Tenez-vous prêtes pour décoller demain".

Adja, contrariée par notre arrivée après le couvre-feu, signale que si on avait été des burkinabé cela ne se serait pas terminé ainsi..... Elle disparaît dans sa chambre....

Et voilà deux pintades qui essaient de s'ébrouer, de redescendre dans le monde réel sans personne avec qui partager....... Surtout faire retomber la tension !

Evacuer ....... Ce militaire-là était dans un état second et il s'en était fallu de peu pour que tout bascule.......... Et parfois, j'en ai marre que les événements basculent du mauvais côté..... Mais les étoiles de Boala nous ont sans doute protégées........

 

Alors, en pintades dynamiques et malgré la chaleur étouffante dans la pièce, nous avons tenté de conditionner nos bagages pour le lendemain. Rien ne vaut un peu d'activités quand on a été troublées......

 

Vous le croirez ou non, j'ai passé une bonne nuit !

 

 

 

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