Carnet de Neerwaya
Le mois où Blaise a quitté.....(suite)
Episode 2 :
rumeurs et tremblements
Quand deux pintades se retrouvent à Boala, le bonheur est palpable, que ce soit l'installation à la concession ou les retrouvailles avec les uns et les autres et, bien sûr.... les chemins de l'école!
Dès le premier jour, elles ont voleté vers le lycée puis vers l'école primaire pour retrouver l'odeur et l'ambiance des classes............Les ateliers avec les élèves étaient lancés dans un brouhaha digne d'un poulailler, elles roucoulaient de satisfaction à l'idée de continuer ainsi.
Hélas! Le lendemain, la nouvelle tombait : "fermeture des établissements, grève nationale!".
Diplomates et compréhensives, habituées à ces manifestations récurrentes, elles ont soupiré........
Depuis quelques années, le pays s'enfonce dans une déchéance morale, politique, économique, sociale, éthique, culturelle ............. et tout ce que vous voulez encore...... .Les enseignants et étudiants font un large écho de la situation !
Pas de problème, elles ont replié les ailes et, patientent......
Très vite la rumeur de la fermeture par l'état d'au moins une semaine est confirmée !!!!! Oups, ça c'est nouveau......Des évènements particuliers se prépareraient-ils pour que les hautes autorités renvoient les enseignants et les étudiants ?????
Très loin de toutes news politiques, la vie à Bola vit son quotidien où le présent prime sur le reste. Les élèves s'organisent pour rejoindre leur village et les professeurs fuient à leur tour Boala. Inversement, d'autres étudiants reviennent au village dans la famille. Les pintades observent ces flux et reflux migratoires. Ce gallinacé à la réputation volubile et indocile sait que l'adaptation fait partie de tout séjour réussi ...
Un constat : pas de classe dans les établissements ?
No, problem ! Les gallinacées proposent jusqu'à nouvel ordre des journées "portes ouvertes" à la concession ....
Ainsi fut fait.... Etonnant ballet que celui de deux tables en bois qui se déplacent sans cesse à la recherche d'un peu d'ombre pour accueillir des élèves avides d'échanges. Devant la porte, vélos ou motos se côtoient gaiement ..... Réunions, palabres, écrits, discussions s'organisent peu à peu............une expérience nouvelle d'enseignement à domicile ! Les pintades cancanent à qui mieux-mieux ...très éloignées de la ville et de ce qui se prépare. Et puis l'heure du départ arrive....
Retour en mobylette sur Boulsa, pour séjourner à la Cité des enfants chez nos amis Christiane et Jérémie Koudougou. Un univers clos, d'engagement, de don de soi, de bonne humeur.......le travail ne manque pas, tout est à construire : le dispensaire, la pouponnière, le logement, le personnel....une vie à la disposition des autres dans un climat de rigolades et de pagaille organisée.
De quoi rappeler aux deux pintades l'environnement du poulailler, elles en roucoulent d'espérance.
Nous ne sommes pas les seuls "nassaras" ( blancs) chez nos hôtes, ils ont en charge une ONG qui travaille dans la cité : un groupe de docteurs plein d'assurance venus soigner l'Afrique avec un grand A......pas rigolos ceux là.
Notre mission : les décontracter et les faire sourire ! Hélas les compétences divertissantes des pintades ont des limites; et malgré l'humour, les blagues, les chants, le service à table.... ...peu de succès devant ce groupe pas facile à dérider ....ces gens très importants ont d'autres sujets sérieux à discuter et ils regardent avec condescendance les deux gallinacées arrivées poussiéreuses de la brousse en mobylettes. Eux se déplacent en 4/4 personnel. Et puis, ils ont des infos sérieuses sur Ebola et puis ils connaissent des gens hauts placés et puis........et bla bla bla.....
Pourtant, lorsque les téléphones mobiles ont commencé à sonner sans cesse pour informer des premières rumeurs.........les french doctors ont paniqué.........tandis que les deux pintades ont roucoulé d' admiration devant cette jeunesse qui manifeste si fort son désaccord....
"Nos enfants sont dans la rue" piaillent fièrement de-ci de-là les Burkinabé de Boulsa ! C'est un fait, la démographie à explosé et c'est une majorité de jeunes qui se soulève.
28 octobre , à l'approche du jour où le parlement doit se prononcer sur la modification de la constitution qui permettrait au président de se présenter à nouveau comme candidat, la contestation s' amplifie.
"Dégage Blaise"
" Touche pas à ma constitution"
"27 ans ça suffit"
Appel à la désobéissance civile....le destin d'un pays est en marche et à Boulsa les infos les plus diverses affluent!
Pour les pintades, un geste de soutien s'impose. Au Burkina, pour les dates importantes, on se fait coudre une tenue. On improvisera, chez un tailleur dans la rue, la confection de deux robes dénommées par nos soins "Au revoir Blaise" . Et même, s'il faut avouer que vêtues de la sorte, nous ressemblons plus à des pingouins qu'à des pintades, nous les conserverons précieusement en pressentiment d'un moment historique.
Dans la ville, chacun se rassemble devant les télés, les commentaires vont bon train, nous déambulons dans une ambiance particulière où chacun est à l'affut d'une info. Au retour à la nuit tombée, un militaire en moto, surpris de voir deux "nassaras" vagabonder nous arrête, inquiet de notre présence et nous demande notre lieu d'habitation.
La pintade cacabe. Elle n'aime pas être fliquée ! Il se passe quoi dans ce pays??
Les french doctors eux, paniquent de plus en plus et prient beaucoup.
Pour nous, plus question de rejoindre Ouaga en bus ou transporteur, tout est bloqué...
Avion à prendre le 30 ?????? point d'interrogation ??????
29 octobre : Les grosses sonos nasillardes, posées à même le sol dans les rues, diffusent les dernières infos "Les syndicats appellent à une journée de grève", quelques centaines de personnes défileraient dans la capitale munies de drapeaux rouges.
30 octobre: On nous propose un véhicule "climatisé" pour nous ramener à Ouaga. Bien installées sur nos croupions décontractés, on se lisse les plumes de satisfaction à l'idée d'un trajet première classe.
Satisfaction de courte durée, tous nos téléphones mobiles sonnent à l'unisson pour nous mettre en garde " ne partez pas à Ouaga, ça chauffe!". Fébriles, nos accompagnateurs passent du français au moré. Nous saisissons quelques mots : tirs divers, violences, coup d'état.
Ce n'est pas que la pintade manque de courage et d'engagement, mais il y a des limites à jouer les Mariannes du Burkina. Nous proposons un vol retour stratégique vers la Cité des enfants! ....
Et là, de toutes parts, l'info fuse entre rumeurs et réalités: "les manifestants sont par milliers place de la nation". Déterminés, courageux, téméraires, ils foncent vers l'assemblée nationale en criant:
" N'ayons pas peur! Bougeons ! s'ils le veulent, qu'ils nous tuent tous, mais nous ne voulons pas de cette loi !".
Vers 10h, l'assemblée nationale s'enflamme, puis la télévision nationale, puis le domicile de François le frère de Blaise...Et puis , on décrit la violence, les tirs.......Les nombres des tués et des blessés varient..........
La télé passe en boucle les mêmes images de violence, de pillages et de destruction. Pourtant, on apprendra que les manifestants ont tenu à marcher les mains nues, sans casser, sans voler ni piller.................
Une pensée commune des pintades, "Rassurer les familles " et puis attendre la suite..........sans paniquer et sans anticiper sur des pronostics aléatoires.
Ici, le travail ne manque pas donc, entre cuisine, tri d'habits, rangement de cartons, nous essayons d'apporter notre contribution au projet de nos amis. Et que dire des moments passés à la pouponnière ? Les pintades ont ouvert les ailes pour accueillir ces petits poussins au vécu déjà si lourd de tristes histoires. Elles ont proposé du temps, des jeux, des sourires, des gestes de tendresse ........elles ont plongé leur regard dans ces yeux d'enfants si intense.
" Savez vous petits bouts d'hommes que vos grands frères sont dans la rue et luttent pour un avenir meilleur?".
Le soir même.....grande nouvelle:
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l'assemblée nationale est dissoute,
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le gouvernement est dissout,
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le couvre feu est instauré,
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un gouvernement transitoire sera mis en place.
Il était temps de vêtir nos robes "Au revoir Blaise!!!"